Mbengue et Sadiakho

Les insaisissables problèmes d’Afrique noire francophone entre coups bas et coups d’État : pratiques chroniques intumescentes (Par Mbengue et Sadiakhou)

À l’école de la démocratie, les États africains ont la triste réputation d’être de mauvais élèves. L’édification d’une véritable démocratie est mise à mal par la persistance de considérations tribales, ethniques ou encore claniques.

Sous ce rapport, il importe de repenser la démocratie en Afrique tout en commençant par s’affranchir du mythe selon lequel, en raison de leurs organisations traditionnelles, les sociétés africaines seraient incompatibles à la démocratie. La marche engagée par l’Afrique vers la démocratie par la voie institutionnelle ne sera véritablement effective qu’avec l’essor d’une véritable culture démocratique des hommes politiques mais aussi des peuples.

Cette question portant sur le sort de la démocratie en Afrique se pose, à tout point de vue, avec beaucoup plus d’acuité dans les États ouest africains. Ces derniers ont, pour la plupart, vu se jouer sur leurs sols, des théâtres de coups d’Etat militaires voire même constitutionnels ; finissant ainsi par tracer les prémices d’une pandémie politique continentale incurable jusqu’à ce jour.

En effet, depuis quelques années déjà, l’espace ouest africain a enregistré bon nombre de renversements de régimes dont le procédé le plus utilisé est l’usage des armes. Selon les pays et les situations politiques, économiques et sociales qui s’y vivent, les motivations changent et le modus operendi de ces alternances violentes diffèrent aussi.

Eu égard à toutes ces considérations, une analyse globale de la situation permet de distinguer, d’un côté les pays dont les régimes ont succombé à des soulèvements populaires sans réelle intervention militaire tels que l’Algérie, la Mauritanie ou encore la Tunisie ; et, d’un autre côté, ceux dont les régimes se sont vu renverser par des manœuvres militaires comme le Mali, le Tchad et récemment la Guinée Conakry. À ces deux catégories, il faut y ajouter une troisième qui se présenterait sous la forme d’un embryon de démocratie à la dérive ; c’est-à-dire, plus exactement, les pays qui ont vécu des moments de tensions ou de conjonctures critiques mais qui ne sont pas pour autant tombés sous le coup de la violence. Le Sénégal est à classer dans cette catégorie au regard des nombreuses fois où, au cours de son histoire politique, il a vu son système se déstabiliser. En guise d’exemples, on serait tenté de citer les récents événements de juin 2011 et de mars-février 2021.

Cependant, si d’un point de vue purement formelle, ces situations peuvent être différentes les unes des autres, l’analyse de la profondeur nous permet de remarquer qu’il y a une constante causale qui demeure : la question du troisième mandat et le tabou de la limitation du mandat présidentiel. Dès lors, les pays africains se sont presque tous engagés sur la voie d’une limitation constitutionnelle du nombre de mandats du président de la République avec notamment des clauses d’éternité. Cette tendance peine à s’affirmer et se rendre effective dans de nombreux États pour moulte raisons.

D’une part, cela s’explique par une impasse doctrinale, laquelle veut systématiquement trouver une justification idéologique à ce principe évoqué supra. Sur ce, deux thèses se confrontent. Les uns qui ne trouvent aucune économie au dit principe se demandent au nom de quoi on limiterait le mandat de quelqu’un qui a l’assentiment de son peuple ? En réponse, les autres estiment qu’il faut tout de même limiter les mandats car, disent-ils, ça permet une meilleure circulation de la classe et l’élite politique.

D’autre part, l’explication de cette ineffectivité du principe de la limitation des mandats résulte d’une insuffisance des dispositifs juridiques et techniques qui le consacrent. Cela se constate par la récurrence des révisions constitutionnelles qui, pourtant comportent toujours des dispositions controversées, résultats de manœuvres politiques matérialisées par les techniques rédactionnelles desdites dispositions. Les constituants de ces États en questions paraissent au final tels des amateurs en la matière. Mais loin de là, il s’agit d’une véritable ruse politique consistant à multiplier les erreurs rédactionnelles pour multiplier les révisions ou dols constitutionnels qui, le plus généralement ne portent que sur les dispositions régissant la dévolution du pouvoir, le mandat et les prérogatives du président de la République et l’organisation du pouvoir judiciaire. C’est cette situation que le Professeur Ismaïla Madior, en bon constitutionnaliste, a qualifié de « fièvre révisionniste » dont l’Afrique de l’ouest se trouverait contaminée. De ce fait, lorsqu’il y a recours à la force, à la violence et aux armes, le coup d’État est imputé à l’armée, tandis que les hommes politiques usent de leur ruse pour modifier, généralement sous le regard complice ou avec l’aide des représentants du peuple. Quant au Professeur Jacques Ndjoli, il y ajoute que « les délinquances constitutionnelles et électorales générées par le syndrome de monopolistique, de conservation ou de confiscation atavique du pouvoir en Afrique ont notamment pour conséquence cette pathologie putschiste ».

En tout état de cause, l’effort africain, avec notamment la forte implication des organisations sous-régionales, est de mieux en mieux galopant d’où la prise de conscience que les putschs et coups d’État retardent davantage le développement économique de nos États qui sont toujours sous perfusion financière. Alors, l’urgence est plus que politique pour nos États ; elle est du secteur de la promotion du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, la famine, la malnutrition, la sous-alimentation ; la croissance économique ; l’enseignement et l’éducation de bonne qualité ; la revalorisation de la recherche scientifique ; l’intégration des minorités ; l’indépendance de la justice et l’éradication du phénomène de la corruption. Il est donc opportun de préciser que ces secteurs doivent être revigorés pour espérer un lendemain meilleur et un avenir certain pour les générations futures.

Encore faut-il que l’adoption du modèle démocratique en Afrique soit s’accompagnée d’une initiative politique de son apprentissage social pour permettre aux uns et aux autres d’en connaître les principes, valeurs, fondements, enjeux, finalités et perspectives. Cela servirait à démentir un certain Jacques Chirac, président de la République de France d’alors, qui affirmait que « l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie » ; ces propos, quoique brutaux et amères à entendre, restent concordants à la situation politique des États africains. En sus, les pays ouest africains doivent s’atteler à changer cette donne en procédant de façon inclusive dans l’instauration d’institutions constitutionnelles s’employant de sorte qu’elles fassent l’objet d’un large consensus politique et social. Cette pratique éviterait toute initiative de contestation systématique et d’adhésion allégeante à quelque chapelle politique que ce soit.

In fine, l’heure est donc à l’introspection générale pour revoir les termes de notre pacte démocratique afin de s’éclaircir les idées sur le vœu de notre moi collectif et sur les modalités de notre longue marche vers la démocratie. Cette longue marche engagée par nos États, à défaut de trouver des points d’équilibre improbables et des consensus inédits par le biais d’institutions fortes et non d’hommes forts tel qu’avancé par l’ancien président de la République des USA, Barack Obama, risque d’être encore plus longue, et d’avoir des conséquences drastiques. La meilleure formule, me semble-t-il, serait d’avoir des systèmes standard et non forcément particuliers, qui seront d’une démocratie modérée et moyenne pouvant nous permettre de marcher vers l’essentiel comme on le voit au Rwanda d’aujourd’hui. Ce qui constituerait de moyens efficaces à éviter des régressions économiques considérables (ex : Mali), mais aussi des replis identitaires dangereux (ex : Côte d’Ivoire) qui finissent par fragiliser les moyens de défense et de sécurité durement acquis (ex : Tchad).

Ch. MBENGUE / O. SADIAKHOU,
UGB/ Droit Public

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