Maurice Soudieck Dione est enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis au Sénégal.

Pr Maurice Soudieck Dione sur RFI : au Sénégal, « nous allons vers des élections législatives tronquées »

À moins de deux mois des élections législatives au Sénégal, le contexte politique se crispe. Le Conseil constitutionnel a décidé, vendredi soir, de rejeter les recours de la principale coalition d’opposition, « Yewwi askan wi », contre la décision du ministère de l’Intérieur de ne pas enregistrer la liste nationale de cette coalition, jugée irrecevable. Ce qui exclut du scrutin plusieurs figures de l’opposition, dont Ousmane Sonko. Maurice Soudieck Dione, professeur en Science politique à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, invité sur RFI fait une appréciation de la situation politique du pays.

RFI : Avec le rejet de la liste Yewwi Askan Wi, de nombreux leadeurs politiques sont exclus des législatives, va-t-on selon vous vers un scrutin faussé ou tronqué ?

Maurice Soudieck Dione : Naturellement, ce sont des élections qui vont être tronquées, parce qu’en réalité, le droit électoral, les procédures électorales, les considérations juridiques de forme, ne servent qu’à encadrer au mieux le processus électoral afin de permettre l’expression la plus fidèle et la plus sincère de la volonté populaire. Mais lorsque les procédures constituent en elles-mêmes un frein, c’est la démocratie qui prend un sacré coup, parce qu’en droit, l’accessoire suit le principal. Donc, déjà, une liste où les titulaires sont invalidés pour laisser la place aux suppléants, ça pose déjà problème, encore que la loi électorale ne parle jamais de pluralité de liste, il n’y a pas une liste des titulaires et une liste des suppléants, il y a une liste composée de candidats titulaires et de candidats suppléants. Donc cette division de la liste qui est opérée par le Conseil constitutionnel pose problème, pourquoi laisser les suppléants pour invalider la liste des titulaires alors que le Conseil constitutionnel aurait pu faire l’inverse.

Les membres de Yewwi Askan Wi ont remis en cause l’impartialité du Conseil constitutionnel qui a suivi le point de vue du ministère de l’Intérieur. Cette remise en cause de l’indépendance du Conseil, elle est fondée selon vous ?

Tout cela crée une impression de manipulation des règles du jeu, d’autant plus qu’on a eu toujours cette suspicion vis-à-vis de l’administration quant à assurer la transparence des élections. On a eu ce problème depuis 1996 avec les élections locales de cette année-là, et on était sorti de cette impasse avec la création de l’Onel (Observatoire national des Elections) en 1997, et la nomination d’un ministre de l’Intérieur sans coloration partisane. Aujourd’hui, le processus électoral sénégalais semble reculer 25 ans en arrière, et là aussi c’est une situation qu’on a du mal à comprendre.

Les opposants affirment que Macky Sall aurait eu peur d’une cohabitation, c’était un scénario crédible ?

C’était un scénario crédible, parce qu’avec la coalition Wallu-Yewwi (alliance entre les deux grande coalition de l’opposition : la coalition YAW et la coalition Wallu), sachant que l’essentiel des députés sont élus sur le scrutin majoritaire à un tour au niveau des départements, je crois que l’opposition aurait pu faire une percée remarquable. Maintenant, avec l’invalidation de la liste des titulaires, cela crée une nouvelle difficulté pour cette coalition-là, parce que ce sont des têtes de pont, les leadeurs qui portent cette coalition, qui sont mis hors course. Quel va être l’impact de cette invalidation de la liste des titulaires ? Ça va être la grande question, donc il va y avoir un travail politique à faire pour voir quelle suite donner par rapport à cet état de fait.

L’opposition appelle à une marche mercredi, peut-on craindre un raidissement de la situation ? Des tensions ?

C’est possible, cela n’est pas à exclure, l’opposition semble déterminée, semble entrer dans une phase de radicalisation, il faut dire également que dans l’analyse du système politique sénégalais tel qu’il fonctionne depuis 1962 à peu près, on se rend compte que les constructions du pouvoir personnel durent à peu près huit ans, donc le président Sall a atteint son seuil de tolérance à l’autoritarisme, donc dans ces conditions, si on y ajoute la montée frénétique des prix des denrées de consommations courantes, et bien cela constitue un facteur détonnant, d’autant plus qu’on a un climat politique délétère marqué par toutes ces vicissitudes liées à l’organisation des élections législatives prochaines.

Source : RFI

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