élections locales

Locales 2022 : Vers des élections inédites (Par Omar Sadiakhou)

À la suite de plusieurs débats houleux et rapports controversés entre acteurs politiques et société civile, le gouvernement du Sénégal a fini par prendre la décision, arrêté du ministre de l’intérieur en date du 10 mai 2021, d’organiser les élections locales en vue d’un renouvellement général des mandats des conseillers départementaux et municipaux. En effet, il a été retenu que le scrutin aura lieu le dimanche 23 janvier 2022.

Cependant, loin de dissiper toutes craintes et assouvir les nombreuses interrogations qui avaient commencé à se poser, la fixation de l’ultime date des prochaines échéances territoriales ont créé davantage de problèmes. D’un côté, on constate un vent de troubles dans le choix des candidats, et, d’un autre côté, on constate le dilemme pour les différents acteurs dans leurs choix d’alliances ou de coalitions.

Mais aussi d’une part, ces élections s’avèrent, dès à présent, d’enjeux majeurs pour le Conseil constitutionnel et pour le pouvoir judiciaire en général, et, d’autre part, on assiste à une occasion particulière pour l’organe organisateur des élections de se départir des cauchemars des dernières élections de juillet 2017.

Ces complications s’analysent donc sous différents registres selon qu’on parle de l’opposition, de la mouvance présidentielle, de la société civile, du juge électoral ou encore de l’administration chargée des élections.

L’opposition à l’épreuve de l’unité.

Comme évoqué ci-haut, l’opposition sénégalaise sera face à son destin lors des prochaines élections territoriales. En effet, depuis la présidentielle de 2012 et les municipales et départementales de 2009… qui ont respectivement vu venir au pouvoir la coalition Benno Bokk Yakar réunie autour de l’actuel président de la République, son excellence M. Macky Sall et, le déclin du pouvoir libéral au sein des communes et départements, l’opposition politique sénégalaise a montré tout son mal à se constituer en une entité unique et solide.

Depuis lors, on ne cesse d’assister à de petites coalitions qui n’ont, jusque-là, abouti à aucun résultant concret débouchant ainsi à de nombreuses dérives notamment dans les batailles statistiques avec le camp présidentiel. Cette situation est telle qu’elle a fini par s’ériger en une réalité lamentable pour l’opposition car la présentant comme une entreprise déboussolée et vulnérable surtout avec la politique de réduction, à sa plus simple expression, entreprise par le Benno, matérialisée aujourd’hui par les nombreux cas de transhumance qu’on s’efforce de qualifier d’entrisme politique.

D’ores et déjà, des coalitions se forment à l’horizon. Mais hélas, on a remarqué que ces contestataires n’arrivent pas à surpasser leurs divergences idéologiques. Une analyse, même simpliste, de la situation politique en son état actuel permet de définir plusieurs blocs dans l’opposition dont les plus importants sont : d’une part, Pastef-Taxawu-Pds incarné par des leadeurs tels que MM. Ousmane Sonko, Khalifa Sall et Abdoulaye Wade et, d’autre part, un bloc incarné par les MM. Abdoul Mbaye, Thierno Alassane Sall, Mamadou Lamine Diallo, qui sont respectivement à la tête de l’Act, la République des Valeurs et Tekki. Pour autant, le décompte n’est pas exhaustif car il s’y ajoute d’autres acteurs.

Parallèlement, une autre frange se dessine autour de Bougane Guèye Dany, Boubacar Camara, Thierno Bocum et l’ancien juge Ibrahima Hamidou Dème. Ceux-ci considèrent l’alliance premièrement évoquée comme une union de complots.

En tout état de cause, les coalitions, nous dit Babacar Justin Ndiaye, en bon politologue, sont des compagnonnages de loups politiques, avant d’ajouter que « celles-ci ne sont faîtes que pour gagner et non pour gouverner » ce qui nous fait poser la question suivante : qui dirigera en cas de victoire des coalitions de l’opposition ?

La mouvance présidentielle et le dilemme des choix d’investitures

Loin de ce qui se laisse voir du grand public, le régime actuel est en proie à une véritable difficulté dans le choix de ses candidats. Plus qu’une équation, il est confronté à un dilemme et non des moindres.

En effet, dans plusieurs des collectivités qu’elle occupe jusque-là, la Coalition Benno Bok Yaakar, par la multiplication des transhumances en sa faveur est finalement prise à son propre jeu. En cela, ses instances ont aujourd’hui du mal à décider de leurs candidats puisque beaucoup de leurs responsables, et des plus ambitieux, partagent les mêmes fiefs et les mêmes ambitions politiques : se faire élire. Il en résulte alors un réel risque susceptible d’aboutir à une dangereuse confrontation qui serait périlleuse tant pour les différents partis qui la composent tant pour l’avenir de la coalition.

Ce schéma n’est en réalité qu’un prolongement d’un édifice en effondrement depuis un certain temps ; fait constable par les nombreux remaniements, nominations et promotions surprenantes ; fuites et divulgations d’informations scandaleuses ; altercations et croisades publiques, entre autres.

Ces élections seront toutes aussi importantes pour le futur de la coalition que pour l’élection présidentielle de 2024, d’autant plus qu’il leur reste à s’entendre sur la question du troisième mandat de leur leader politique considérée comme sujet tabou.

Le juge constitutionnel et l’administration électorale n’ont plus droit à l’erreur

Les locales de 2022 c’est aussi une occasion particulière pour nos institutions de montrer au monde entier que le Sénégal a des institutions fortes dirigées par des hommes forts. Un moment pour notamment s’affirmer et renouer avec la stabilité et la crédibilité en manquement auxquelles elles ont subi de nombreuses critiques ces dernières années.

Souvent prises à partie, ce sont pourtant ces mêmes institutions qui ont permis deux alternances démocratiques au Sénégal. Avec un peu de recul, la situation nous amène donc à s’interroger sur la question de savoir : qu’est-il donc arrivé à nos institutions ?

Il y a, là, une question toute aussi épineuse que complexe à répondre du fait notamment qu’elle suppose une maîtrise à la fois du passé et du présent des ces institutions en question et, plus généralement, une fine connaissance de l’histoire politique du Sénégal. Toutefois, on peut, de façon immédiate et générale, proposer une logique explicative qui part d’une conjoncture d’éléments divers.

D’abord, la crise d’autorité est devenue évidente dans l’expression des organes juridictionnels chargés des élections notamment le juge constitutionnel qui, en dépit de ses pleines compétences en matière électorale, peine à affirmer son autorité. Et encore plus loin, l’analyse profonde de cette donne permet de comprendre qu’elle a à sa base la multiplication de décisions à caractère controversé et malléable. En effet, depuis 2011, sur la candidature du président d’alors, Me Abdoulaye Wade, la dernière modification du code électoral, du code pénal et du code de procédure pénale en 2021, en passant par la réforme constitutionnelle de Mars 2016, notamment sur la réduction du mandat du président de la République et de son application au premier mandat de l’actuel chef de l’Etat, le juge constitutionnel sénégalais n’a cessé de tâtonner avec dans ses pratiques et motivations quoiqu’un juge n’a pas à s’expliquer sur ses décisions.

L’analyse de ses dernières tendances jurisprudentielles permet de dégager deux logiques. D’une part, on assiste à une extension jurisprudentielle du bloc de constitutionnalité qu’on peut expliquer par le fait qu’outre ses compétences légalement attribuées, le juge s’en attribue d’autres qu’on pourrait ici qualifier de compétences arrachées ou conquises telles le contrôle de la constitutionnalité des lois de révisons, chose à laquelle le conseil s’était jusque-là montré timoré et réservé développant au final une sorte d’amorphisme à l’égard des lois constitutionnelles. D’autre part, le juge constitutionnel sénégalais s’est montré comme un juge en quête d’autorité dont la pratique se veut suffisamment indépendante et équidistante pour accorder un minimum de valeur ferme et autoritaire à ses actes afin d’amener, par sa force probante sur la place publique, les acteurs à cultiver le minimum de consensus sur les questions essentielles, surtout électorales.

Dans le même souci de correction, l’administration chargée d’organiser les élections devra aussi, contre vents et marées, s’employer à la reconquête de sa crédibilité qui s’est vue volée en éclats au sortir des cauchemars électoraux de juillet 2017 et de février 2019. Il s’agira, plus particulièrement, de rendre effective la rationalisation des partis et des listes électorales, facilitant ainsi le choix du citoyen dans l’accomplissement de son devoir civique le plus sacré en Etat de droit. Cette rationalisation comporte aussi un intérêt économique pour l’Etat car réduisant ses dépenses dans l’organisation matérielle et technique des élections.

Omar Sadiakhou, UGB/ Droit Public

Partager