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Khassim Ba, un coupable et victime sociale (Par F. Dia)

Avant tout thérapeutique efficace, il faut un diagnostic préalable des symptômes de la maladie dont souffre le patient. Dans notre cas, le patient est en effet cette « société sénégalaise » ravagée par la maladie de l’apparence au point de ne plus être reconnaissable. L’affaire khassim Ba est un signal d’alerte à l’intention de la société sénégalaise régie par un matérialisme structurel chronique qui touche tous les secteurs de la vie sociale. Au pays de la « téranga », l’argent est le point névralgique de toutes les crispations sociales. L’importance d’une personne est proportionnelle à son rang économique à tel point que la pauvreté est devenue un « délit existentiel ».

Au regard de ces actes, Khassim est moralement insoutenable. En âme et conscience, ce jeune vraisemblablement correct aurait asséné 37 coups de couteaux sur le corps d’une jeune femme désarmée avant de l’achever avec une cruauté digne d’un monstre. Choqués par la gravité des évènements, les Sénégalais s’interrogent sur les motivations de ce crime. A en croire les enquêteurs : « Mr Ba Khassim avait besoin d’argent pour financer le baptême de son fils ». Il est important de préciser qu’il a tué une vie pour financer une cérémonie de baptême. Le baptême est une exigence sociale rythmée par des dépenses susceptibles de couter plusieurs millions de francs CFA au nouveau Papa. En marge de la justice s’impose le débat sur la pression sociale qui a transformé un Homme ordinaire en un redoutable criminel. Il est à la fois coupable d’un crime et victime de la société.

Un esprit éclairé serait à même de constater que le mis en cause est à la fois un coupable et une victime de la dictature sociale dont souffre des millions de jeunes de ce pays. La voix royale qui mène à la réussite sociale est pavée par la capacité à mobiliser des masses politique, à manipuler l’opinion religieuse pour s’attirer des fidèles généreux en cadeau, à escroquer le naïf investisseur par abus de confiance, à détourner l’argent publique, à dilapider les biens mobiliers ou immobiliers d’autrui sans être inquiété par la justice et les tenants de la morale religieuse. A ce stade, nous pouvons mesurer l’état de délabrement mental de la société sénégalaise chez qui la « vertu de l’argent » prime sur la vertu morale.

Nous devons avoir la sincérité de reconnaitre que la morale vit sous le dictat de l’argent qui nous rend « bon croyant » au regard des religieux et vertueux aux vis-à-vis de la société. Peu importe l’origine des fonds, il vous suffit d’être riche pour être accepté comme bon. Au sein d’une même famille sénégalaise, l’estime familiale est conditionnée par la réussite économique. Le pauvre n’a pas d’existence sociale. Ces pensées n’ont point d’échos, sa vision n’a point d’horizon ! Ses sentiments ne sont que frustration. Sa vie est une somme de déconsidération. L’émergence d’une telle mentalité ouvre le gala d’une série de crises sociales dans lesquelles s’inscrit le crime de Khassim.

Il ne s’agit pas de défendre un criminel encore moins d’amoindrir la gravité de son acte. Nous sommes dans une démarche de réflexion visant à situer le point de basculement de l’ordre sociale et les conséquences qui planent sur notre destin en tant que peuple. Une société est en crise dès l’instant qu’un des composants sociaux est en dysfonctionnement. L’échec des politiques public en matière de développement a engendré une rupture du contrat de confiance qui uni le citoyen, l’élite politique et religieux, marque le premier point de déraillement. Chaque année plus de 200 milles nouveaux diplômés arrivent sur le marché du travail. La pauvreté touche 54 % de la population sénégalais et Dakar figure dans le top 10 des villes les plus chères du continent africain.

A la conjoncture sociale s’ajoute les rivalités inter-familles à l’occasion des fêtes rythmées par des dépenses phénoménales et insensées qui ruinent le jeune couple. Au Sénégal, Le « ndawtal » est la malédiction de notre société ! C’est un pactole de cadeaux offert par les beaux-parents à leur belle famille, mais au fond, c’est une dette. La belle-famille devrait rembourser le double à l’occasion du prochain mariage ou baptême d’un des membres de la famille des beaux-parents. Nous rentrons ainsi dans un spiral de surenchère qui exacerbe une atmosphère économique manifestement tendue.

Au pays de la « téranga », la sobriété et la simplicité sont antinomique à l’esprit de fête. Pour une famille qui se respecte, la fête est aussi le théâtre d’étalage de billets de banque sous les ovations et chants des griots et du grand publique. Les belles-familles rivalisent de dépenses de prestiges sous les éloges des griots. Chaque cadeau est scruté minutieusement et sa valeur est décriée au micro à l’intention de l’auditoire. Il n’est pas ironique de mentionner que les fêtes sénégalaises font le bonheur des invités et le malheur de l’organisateur. Selon le sociologue Ndiaye Ndoye « On peut dire que plus les populations sont pauvres, plus elles tendent vers des dépenses qui ne s’expliquent pas. C’est une concurrence, c’est une rivalité. Parce que la famille d’un tel a fait ça, je vais faire pareil. »

La norme dominante est à la conformité à la société sous peine d’être un paria. La résilience à la pression sociale est une ambition grandiose qui échappe à la portée d’un grand nombre de jeunes dont Khassim Ba qui se trouve victime et coupable. A travers son acte sinistre, il visait le bonheur de la société. Au-delà des condamnations à tout va, il convient de reformer notre modèle de société où l’argent conditionne la morale. La loi no 67-04 portant sur le gaspillage devrait être réactivé et mis en application afin de changer notre comportement social collectif. La sensibilisation incombe aux médias, aux écoles, aux hommes politiques et aux tenants de la religion. A défaut de réformes sérieuses, des crimes similaires se faufilent à l’horizon avec leurs cortèges d’étonnements. Car, il est bien connu que les mêmes causes vont reproduire les mêmes effets.

Fallou DIA,
PASTEF Commission numérique

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