Dorénavant dans le corpus législatif sénégalais, le suppléant remplacera le député empêché à court terme et non pas de manière définitive. Dit autrement, tout nouvel ancien ministre peut retrouver hic et nunc son siège à l’Assemblée nationale. Telle est l’économie de la suppléance prévue dans la loi organique du 4 mai 2019. Cependant, s’ils ne sont pas reconduits dans l’attelage gouvernemental de novembre 2020, les ministres remerciés – initialement élus députés en 2017 – ne pourront pas regagner leur place à l’Assemblée nationale, du fait de principe élémentaire de la non-rétroactivité de la loi.
Sous ce rapport, nommés ministres en 2017, donc deux ans avant l’entrée en vigueur de la loi portant organisation de la suppléance, ils passeront du statut de ministre et député à celui d’ancien ministre dépité. En revanche tout autre parlementaire nommé ministre en 2020, pourra retrouver automatiquement son siège à l’hémicycle, s’il n’exerce plus de charge ministérielle.
Sous le bénéfice de cette affirmation, il faut noter que l’incompatibilité entre la fonction ministérielle et le mandat parlementaire entraînait ipso facto le remplacement définitif du député par son suppléant, qui, à son tour, conservait le siège jusqu’au terme du mandat. Avec cette incompatibilité proclamée, le système politique sénégalais consacrait ainsi un dogme intangible de rang constitutionnel. Mais aujourd’hui, face aux vicissitudes de la suppléance, le nouveau statut du député se traduit, désormais, par la possibilité à lui offerte de reprendre son siège après la cessation de sa fonction ministérielle, conformément aux articles 55 et 56 révisés de la Constitution du 22 janvier 2001. Ce fait juridique vient tempérer la reconnaissance du dogme « incompatibilités entre fonction gouvernementale et mandat parlementaire ».
Dans le même ordre d’idées, en cas de vacance du siège de député pour cause d’empêchement [nomination ou maladie], le suppléant désigné exercera pleinement la fonction de député pendant la durée de l’empêchement. En clair, on ne peut suppléer un titulaire que s’il y a incompatibilité entre le poste de député et la fonction occupée. Le suppléant pourra alors siéger, mais quand le titulaire cessera ses fonctions précédentes, le suppléant lui cèdera la place.
En octroyant un titre révocable et précaire au suppléant, l’intention présidentielle est de reconnaître et de consacrer le mérite électoral du député élu, devenu ministre. Fort bien !
Indubitablement, d’aujourd’hui à 2024, de nombreux ministres regagneront rapidement leur fauteuil à la place Soweto, à la fin du mandat présidentiel. Ministre aujourd’hui député demain ; ministre hier, député aujourd’hui.
C’est alors que le suppléant cessera d’être député suppléant ; tandis que le député suppléé redeviendra député de plein droit.
Faux suppléant : « vrai garde-place »
Passons rapidement sur la « tragédie sociale et familiale » qu’est la déchéance politique du « simple suppléant » pour nous arrêter sur le principe de la séparation stricte des pouvoirs qui s’en trouvera fortement atténué. Ce qui incidemment consacrera, le caractère temporaire de la suppléance et par la même occasion, accentuera l’idée de suppléant « garde-place ».
Pour rappel, au lendemain de l’indépendance du Sénégal, la compatibilité entre la fonction ministérielle et le mandat parlementaire était une pratique constitutionnelle acceptée. En permettant ainsi aux parlementaires de devenir ministres, sans cesser de siéger l’Assemblée nationale, les Mamadou Dia, Valdiodio Ndiaye, Alioune Badara Mbengue, Karim Gaye, Émile Badiane et Demba Diop, entre autres ont cumulativement été des ministres-parlementaires. Une coutume législative inspirée des IIIe et IVe République en France.
Cela dit, c’est l’avènement de la Ve république voulue par le Général Charles de Gaulle qui fixe, pour la première fois, le régime des incompatibilités et des inéligibilités des députés prévu dans la Constitution du 4 octobre 1958. Par héritage constitutionnel, depuis plus de cinquante ans, le législateur sénégalais l’avait inséré dans le corpus juridico-politique.
Au passage, il faut noter qu’au Royaume-Uni, le Premier ministre et ses ministres sont tous membres du parlement (Chambre des communes). De ce fait, l’élu britannique n’a pas de suppléant. En cas de décès, démission ou destitution, il est procédé à une élection partielle appelée by-election. Une pratique toujours en cours.
Pour terminer, il faut retenir que sept ministres, élus députés en 2017, ne devront pas pouvoir siéger à l’hémicycle, s’ils le souhaitent. Sauf à l’issue de nouvelles élections législatives [en 2022, 2023 ou 2024 ?] : Ce sont : Mouhammed Boun Abdallah Dionne, Amadou Ba, Sidiki Kaba, Abdoulaye Diouf Sarr, Mariama Sarr, Moustapha Diop et Mansour Faye.
Docteur Cheikh Omar Diallo
Enseignant-chercheur en Science Politique
Directeur de l’École d’Art Oratoire et de Leadership