Papa Diomaye NGOM

La solution rousseauiste au problème de la représentation en politique

De toutes les créatures, l’homme se présente comme étant le seul être qui ne  peut  pas se passer de la vie politique, il a besoin de la politique pour vivre et pour organiser sa vie. Dans cette organisation politique, on peut déceler deux entités: Celle qui organise et celle qui est organisée, autrement dit les dirigeants et les dirigés ou bien encore les représentants et les représentés. Cependant, l’objectif de cette réflexion est d’analyser la question de la représentation politique dans les États et plus particulièrement dans notre cher pays le Sénégal. Nous allons nous appuyer sur Rousseau pour mener à bien ce travail. En tant que membre des théoriciens du contrat social, Jean Jacques Rousseau a consacré une bonne partie de son œuvre à la résolution des questions qui ont trais à la constitution de l’État et de la société.

 Dans son œuvre, Rousseau a retracé l’histoire de l’origine de l’État tout en montrant ses compositions, ses fondements mais aussi ses différentes formes. En effet, en lisant ses ouvrages et surtout celui intitulé Du contrat social, on remarque l’importance qu’il accorde à la question de la représentation même s’il montre qu’elle ne s’applique pas à la souveraineté  en disant que « la souveraineté ne peut pas être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente  point, elle est la même,  ou elle est autre ; il y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement »[1].Certes il a montré que le peuple est souverain et la souveraineté ne saurait être l’objet d’une représentation parce qu’il s’agit de volonté générale et cette dernière concerne tout le monde. Mais, même si la volonté générale ne se représente point, Rousseau souligne quand même qu’il faut qu’il ait un corps intermédiaire qui va servir de lien entre l’autorité souveraine et le gouvernement. C’est pourquoi il dit que « entre l’autorité souveraine et le gouvernement arbitraire, il s’introduit quelque fois un pouvoir moyen dont il faut parler»[2]. Et ce pouvoir n’est rien d’autre que le pouvoir des députés, des représentants du peuple, c’est le pouvoir de l’assemblée nationale.

 Il faut noter que chez Rousseau on doit distinguer les représentants des représentés, il le dit en ces termes : « où  se trouve le représenté il y a plus de représentant »[3], ce qui veut dire que les deux ne peuvent pas être présents en même temps. Mais avant d’entrer dans les détails du sujet, il est important de souligner que la représentation vient du latin repreaesentatio qui signifie action de mettre sous les yeux. Comme on la définit dans le dictionnaire, « la représentation veut dire action de représenter, de rendre présent »[4], action de tenir la place des électeurs, d’être leur mandataire à l’assemblée nationale. Selon Lucien Jaume, représenter signifie « rendre présent un sujet politiquement absent »[5]. Cette même conception on la retrouve chez Thomas Hobbes  qui disait que c’est une présence qui se fait absence ou une absence qui se fait présence. La représentation suppose la délégation du pouvoir à un homme ou à un groupe d’hommes habilité à parler, à agir au nom du peuple. Elle désigne l’organe qui est chargé d’exercer le pouvoir au nom du peuple.

Selon Rousseau il y a un ensemble de circonstances qui ont donné naissance à la mise en place de la représentation en politique et le recours aux députés pour faire fonctionner le gouvernement. L’État est souvent confronté à des réalités, à  des pratiques qui sont souvent négatives, qui peuvent perturber un peu l’harmonie, la stabilité et l’organisation de la cité, cependant, ces réalités étatiques permettent aussi en même temps de légitimer l’instauration de la représentation en politique : « L’attiédissement de l’amour de la patrie ,l’activité de l’intérêt privé ,l’immensité des États , les conquêtes ,l’abus de gouvernement  ont fait imaginer la voie de députés ou représentants du peuple dans les assemblées de la nation .C’est ce qu’ en certains pays on ose appeler le tiers état .Ainsi l’intérêt particulier de deux ordres est mis au premier et second rang ; l’intérêt public n’est qu’au troisième »[6].

L’idée de représentation est moderne, car elle n’a pas  existé dans l’Antiquité. À l’époque, de la Grèce antique, on ne parlait pas de représentant ni de représenté parce qu’on avait une démocratie directe et le peuple libre et indépendant, exerçait le pouvoir directement sans intermédiaire, c’était un gouvernèrent du peuple, par le peuple, et pour le peuple. Cependant dans l’époque moderne, les États se sont développés, on a de plus en plus de grands États avec beaucoup de populations, c’est pourquoi la démocratie directe va céder sa place à la démocratie indirecte où le peuple sera représenté à l’assemblée nationale par des députés. Donc l’idée de représentation est récente « l’idée de représentation est moderne : elle nous vient du gouvernement  féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l’espèce humain est dégradée et où le nom d’homme est en déshonneur. Dans les anciennes républiques et même dans les monarchies jamais le peuple n’eut de représentants ; on ne connaissait pas ce mot-là »[7].  La question de la représentation a été au cœur des débats entre les penseurs du contrat  social à savoir Hobbes, Montesquieu, John Locke…Et ce débat continue toujours. Aujourd’hui au Sénégal nous sommes dans un gouvernement où on a des représentants et des représentés, chacun a son rôle à jouer pour la bonne marche et l’harmonie de l’État. Cependant, la nature de  la relation entre le peuple et ses représentants appelés députés n’est pas toujours parfaite d’où  l’importance de poser le débat. La représentation se manifeste comme le fait de prendre la place de quelqu’un qui devait être présent mais qui est absent tout en nous autorisant d’exercer son devoir et son droit,  c’est à dire son pouvoir d’agir. Et puisqu’il s’agit d’exercer le pouvoir à la place d’un autre ou de tout un peuple, l’idée de représentation n’est-elle pas  complexe ? N’est-elle pas une « affaire sérieuse » pour paraphraser Hegel ?Quelle genre de relation pouvons-nous espérer entre le représentant et le représenté ? Est-ce que réellement une seule personne ou bien un seul groupe d’hommes peut représenter objectivement tout un peuple ? Est-ce que ces représentants appelés députés servent le peuple ou bien leur propre intérêt ?Même s’il y a représentation, n’est-il est possible qu’il subsiste quelque chose d’inaliénable qu’on ne saurait représenter et qui serait la souveraineté ?

Toutes ces questions  méritent réflexion et ratiocination surtout dans le contexte actuel du Sénégal, nous sommes dans un pays ou la question du vote des lois à l’assemblée nationale est devenue une affaire mécanique. Le mot député du peuple disparait et on a de plus en plus des députés de partis politiques. Si le peuple n’est pas bien représenté, le parti politique par contre est bien représenté à l’assemblée nationale. Ici on lève la main pour voter une loi sans en lire la proposition. L’assemblée nationale est une institution et non une arène nationale, ce n’est pas le lieu de se donner des coups mais le lieu propice pour réfléchir sur les questions de gouvernance du pays.

Papa Diomaye NGOM,
Maitre en philosophie


[1]Rousseau, Jean Jacques ; Du contrat social ou principes du droit naturel ; Ed. Gérard Mairet, 1762, p.118.

[2]Ibid., p.117.

[3]Ibid., p.116.

[4] (by Farlex, Copyright©2003-2020 Farlex, Inc, version 2.0, Dictionnaire de L’académie français 8th Edition ©1932-5),

[5] Jaume Lucien, Hobbes et de l’état représentatif moderne ,7PUF 1986, P.6.

[6] Rousseau, Jean Jacques, op.cit., p.117.

[7] Rousseau, Jean Jacques, op.cit., p.118.

Partager