La question de la refondation de l’État malien ?

Au Mali, le sujet portant refondation de l’État est, on ne peut plus sûr, plus que jamais d’actualité. C’est un sujet qui, à juste titre, est en train de faire couler beaucoup d’encre et de salives à l’heure où nous sommes. Et ce, pour cause, l’État malien, encore faudrait-il le rappeler et le réitérer, traverse une crise existentielle depuis janvier 2012. Cette crise, sans pour autant relater ses causes et ses manifestations ici, a tout de même eu pour conséquence, essentiellement bien-sûr, l’ébranlement des fondements de l’État. En d’autres termes, les fondations de l’État ont été, du fait de la crise, lourdement secouées et gravement endommagées. D’où l’importance de s’intéresser davantage au sujet de la refonte de l’entité étatique malienne.

De prime abord, il est besoin de savoir ce qu’est l’État, avant d’aborder la question de sa refonte. L’État, vu sous l’angle juridique, est une entité souveraine dotée de la personnalité morale et de l’autorité publique, disposant d’un territoire et d’une population sur lesquels s’exerce son pouvoir. De ce point de vue, l’État est constitué de trois éléments, à savoir le territoire, la population et l’autorité publique. À côté de ces éléments constitutifs, s’y ajoutent les éléments déterminants, à savoir la personnalité juridique et la souveraineté.
Partant de là, la fondation de l’État repose principalement sur le territoire, la population, l’autorité publique et, subsidiairement, la personnalité juridique et la souveraineté. Alors, si tant il est vrai que le problème du Mali se pose, de plus en plus, en termes de refondation de l’État, il n’en demeure pas moins que les éléments constitutifs de celui-ci soient plus que jamais convoqués. Autrement dit, la véritable refondation passe, nécessairement et inéluctablement, non seulement par la convocation des éléments dits sociologiques de l’État (territoire et population), mais également des éléments juridiques de celui-ci (autorité publique, personnalité juridique et souveraineté).

Cela dit, intéressons-nous d’abord à la question de la refonte des éléments sociologiques, avant de nous appesantir sur les éléments juridiques. S’agissant des éléments sociologiques, c’est-à-dire le territoire et la population, y-a-t-il une nécessité de les rebâtir au nom d’un Mali nouveau ? D’emblée, nous répondons par l’affirmative. Mais une refondation soumise à une seule et unique condition : le rétablissement de la sécurité sur toute l’étendue du territoire national, car ce serait un pari suicidaire que de vouloir entamer un projet de refonte aussi importantissime dans un État aussi fragilisé et failli sur le plan sécuritaire. C’est pourquoi il faut passer au préalable, qui est celui de la restauration de la sécurité sur l’ensemble du territoire national. Après quoi, il sera alors question de rebâtir les fondements de l’État.
En effet, pour la question de la refondation du territoire national, faudrait-il le préciser dès l’abord, afin de ne laisser place à aucune ambiguïté, elle ne consiste pas à remettre en cause les frontières nationales héritées de la colonisation (principe de l’intangibilité des frontières en droit), mais plutôt de procéder à une réorganisation territoriale. En clair, il s’agit de repenser la politique de la gouvernance territoriale, aussi bien en termes du nombre des collectivités territoriales (volet décentralisation) que de celui des circonscriptions administratives (volet déconcentration). Une réorganisation qui doit s’opérer suivant les considérations démographiques (nombre d’habitants) et géographiques (étendue territoriale). À titre indicatif, une commune rurale doit comprendre combien de kilomètres carrés ou encore abriter combien d’habitants ? Une commune urbaine doit constituer combien de quartiers, de fractions et de secteurs, ou encore contenir combien de kilomètres carrés ? Voilà autant d’interrogations qui méritent d’être sérieusement posées, débattues et répondues, afin d’avoir un maillage territorial efficace en termes de gouvernance équilibrée et équitable.

Quant à la population, elle ne peut, en aucun cas, être en marge de cette refondation. Mais sans pour autant qu’il soit agi de faire naître un nouveau Malien. Bien au contraire, il s’agit de faire avec ce Malien d’aujourd’hui, en dépit de ses défauts, et ce, dans un esprit de remodelage et de recalibrage. Toute chose qui requiert, en amont, un travail de formatage de conscience et, en aval, une mission d’inculcation des valeurs du patriotisme, de la citoyenneté, du civisme, de la conscience nationale. Donc le pari à gagner ici est et demeure celui de la reconstruction, si jamais elle avait déjà été faite, sinon même de la construction d’un peuple conscient, éveillé et averti ; un peuple qui a connaissance de son passé, de son présent et de son futur. À cet égard, notons qu’un véritable État, au-delà d’une population, a besoin de forger un peuple. Celui-ci s’identifie par l’édification, en son sein, d’une conscience et d’une union nationales. Ces dernières étant forgées autour d’un certain nombre de principes de cohésion sociétale ; des principes reconnus et acceptés par tous, dans l’optique de réaliser un idéal commun, qui est celui du bien-être de la communauté nationale ou étatique.
En vérité, pour que cela soit, encore faudrait-il déterminer une sorte de code de conduite sociétale, prenant la forme d’un texte juridique doté de valeur supérieure, et dont l’inobservation est correctement et convenablement sanctionnée.
Outre la nécessité de refonder ces éléments sociologiques de l’État, il va de soi que les éléments juridiques (autorité publique, personnalité juridique et souveraineté) méritent également de subir la même opération.

En premier lieu, l’autorité publique, qui est l’instrument juridique de la puissance de l’État, est sujette à refondation. Au Mali, nul n’ignore que l’autorité de l’État a été plus que jamais bafouée, trimbalée, méconnue, négligée, détournée, voire marchandée et monnayée. Donc, pour avoir été sérieusement étiolée, l’autorité publique n’est plus alors digne de ce nom. Ainsi, cette autorité, qui confère à l’État la capacité ou l’aptitude de décider et de faire respecter ses décisions, nécessite de faire l’objet d’un travail de refonte dans le sens d’une redynamisation, d’une revitalisation, d’une fortification et d’une revigorisation. En tout état de cause, l’autorité de l’État doit nécessairement recouvrer sa plénitude, sa totalité, sa force et sa vivacité, tant sur l’ensemble du territoire national qu’à l’égard de l’ensemble des populations qui y vivent. Aucune personne, aussi bien physique que morale, ne doit pouvoir exister et évoluer dans une situation de rébellion contre l’autorité étatique.

En deuxième lieu, la personnalité juridique de l’État n’est pas à négliger. Elle permet notamment de distinguer l’État de la personne des gouvernants. L’État, qui est une personne morale, artificielle et abstraite, fonctionne concrètement à travers l’action des gouvernants. Mais ceux-ci agissent, par conséquent, dans le cadre des institutions. C’est pourquoi d’ailleurs, on a coutume de dire que l’État est le pouvoir institutionnalisé. D’où la nécessité de mettre en place, au Mali, des institutions fortes, efficaces et efficientes, de sorte qu’elles puissent résister aux tentations, aux désidératas et aux velléités d’accaparement des individus investis du pouvoir d’État, notamment pour la marche harmonieuse desdites institutions. En un mot, il faudra couper court à la personnalisation et à la personnification, de fait et non de droit, du pouvoir d’État.

En troisième et dernier lieu, la souveraineté de l’État doit quitter du stade purement formel au stade essentiellement substantiel. Pour ce faire, il faut donner de la substance à la souveraineté, aussi bien au plan international que national. Au niveau international, la dotation d’une assise substantielle à la souveraineté ne peut s’effectuer que dans le cadre d’une politique étrangère et diplomatique tranchée, vigoureuse, respectable et respectée ; une politique, surtout à ne pas oublier, encore moins négliger, qui est réellement au service de la défense des intérêts de la Nation malienne. Au niveau interne, ceci se réalise dans le cadre de la restauration et du renforcement des compétences nationales de l’État. Notamment, l’État doit être à même de pouvoir décider en dernier ressort et surtout détenir, en son sein, le monopole de la violence légitime.

Au regard de tout ce qui vient d’être noté, a-t-on encore besoin de dire que la tâche est loin d’être aisée ; que le vœu est facile à formuler qu’à réaliser. Mais quoi qu’il en soit, il reste évident que l’État du Mali est fortement déstabilisé dans ses fondements ; que ses ressorts sont sérieusement ébranlés ; qu’un besoin de changement est de plus en plus éprouvé ; mais, que le préalable à toute refondation sérieuse et efficace demeure la restauration de la sécurité sur toute l’étendue du territoire national.

TRAORÉ Brahima, étudiant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, natif de Tienkoungo (Mali).

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